La maternité et l'écriture ne sont-elles pas deux pôles opposés ?!
Peut-on être mère et écrivain? Doit-on faire le sacrifice d'une vie familiale pour vivre pleinement une carrière professionnelle dont-on a toujours rêvé et vice versa ?! ...C'est toutes ses
questions que s'est posée longuement Elif Shafak, avant de devenir maman d'une petite fille. Suite à la dépression post-partum qui va durer 10 mois, l'auteur exorcise à travers son roman
autobiographique ses pensées, ses idées...qu'elle projète dans un univers magique, avec beaucoup de talent et une certaine sincérité .
Elif fait appelle à ses voix intérieures, des petites bonnes femmes ( des
djinns) aux avis très contradictoires, qui ne vont pas cesser de la harceler. L'univers et la condition des femmes est le sujet principal d'un dialogue drôle entre Elif et Miss Cynique
Intello, Miss Ego Ambition, Miss Intelligence Pratique, Dame Derviche ( l'humble), Maman Gâteau ( la maternelle) et Miss Satin Volupté ( la sensuelle). L'auteur ouvre les portes sur l'intimité
et la vie des écrivains féminuns comme Georges Sand,Simone de Beauvoir, Zelda Fitzgerald, Doris Lessing, Sylvia Plath...qui n'ont pas toujours eu la place d'honneur
qu'elles méritaient. En 2010, certains pensent encore que le rôle d'une femme, d'une épouse, d'une mère est de s'occuper pleinement de ses enfants, de son mari ou de son
intérieur.
Petite parenthèse sur les droits des femmes depuis une soixantaine d'années :
1938: suppression de l'incapacité civile pour les femmes mariées
1944 : droit de voter et d'être élues
1966 : le mari ne peut plus s'opposer à l'activité professionnelle de son épouse
1970 : suppression de la notion de chef de famille et remplacement de l'autorité
“paternelle“
par l'autorité “parentale“. Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de
la
famille.
1981 : création d'un Ministère chargé des droits des femmes (remplaçant un Ministère de la
condition féminine)
1983 : loi sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes Ainsi, dans le domaine des droits civiques et
civils, les univers des femmes et des hommes sont aujourd'hui, au moins théoriquement, les mêmes. ( Source CNRS)
Je reviens sur le théoriquement, les mêmes...oui, "théoriquement, les mêmes" , d'accord ! mais, dans la pratique c'est encore loin d'être
partout le cas. Certes au temps de Maupassant, c'était pire !
Oui, je suis une féministe mais pas au point de militer activement à "Ni putes ni soumises" ( cela n'est pas une critique ! ne pas le prendre au 1er
dégré ! )
Je ferme la paranthèse !
Cette lecture m'a d'autant plus touchée
qu'étant comédienne professionnelle depuis 13 ans, mes enfants ont certainement soufferts de mes absences (répétitions, tournées...) sachant que j'ai changé de métier quand ils avaient 14 et 9
ans. Ils ont dû s'adapter à un rythme auquel ils n'étaient pas habitués. Et moi de mon côté, je m'épanouissai pleinement dans le métier que je rêvais de faire depuis si longtemps. Une porte
s'est ouverte après 9 ans de cours de théâtre et je l'ai franchi sans me rendre compte de conséquences éventuelles. Ai je été pour autant, une mauvaise mère, une mauvaise épouse
?!...
"Lait Noir" peut-être déroutant voire
pertubant pour certaines femmes, je pense particulièrement à celles qui souffrent de ne pas avoir d'enfants mais je reste persuadée que ce livre devrait être lu par toutes les femmes. J'aime la
sincérité d'Elif Shafak, j'aime la sincérité tout court et sans détours, surtout quand elle est justifiée. Ne soyons pas hypocrites ! Nous nous sommes toutes posées des questions dont on n'est
pas très fières et cependant elles restent légitimes. Cela ne nous empêchent pas de vivre pleinement notre vie de femme, d'épouse, de mère et d'aimer nos
enfants.
J'ajoute que ce livre ne parle pas que de dépression mais parle de LA FEMME
! Elif Shafak lui rend un bel hommage, je trouve !
Comme c'est un livre que l'on m'a prêté, je dois malheureusement le rendre. Soupir ! Dès que mon porte monnaie sera un plus renfloué, je compte me l'acheter et le ranger dans ma bibliothèque
pour m'y replonger plus tard.
J'aimerai vraiment que ma lutine le lise...un jour !
"La véritable mère du livre, c'est le
lecteur" Elif Shafak
éditions Phébus - 2009
Traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy
4ème de
couverture
Maternité et écriture ne font pas toujours bon ménage. L'une
paraît menacer l'autre. et vice-versa. Comment marier la blancheur du lait à la noirceur de l'encre ? Comment préserver son indépendance tout en berçant sa progéniture '! ainsi lorsque Elif
Shafak. à la naissance de sa fille, sombre dans une dépression, six petites créatures têtues et véhémentes l'accompagnent. Ces dames, voix intérieures de l'auteur - et l'on pourrait dire de toute
femme -, exposent avec détermination, intelligence et humour leur conception du monde et de la féminité ...
. De Miss Cynique lntello à Miss Ego Ambition, de Miss Intelligence Pratique à Darne Derviche, de Maman
Gâteau à Miss Satin Volupté. la femme d'hier. d'aujourd'hui et de demain s'exprime dans ses contradictions et ses rêves. Elif Shafak témoigne ici avec brio de la crise d'identité à laquelle
peuvent être confrontées les femmes lorsqu'elles veulent à la fois être mères et créatrices. Evoquant ces hautes figures de la littérature que sont Virginia Woolf. Simone de Beauvoir et Doris
Lessing. Lait noir est aussi un portrait de la société turque dans sa double dimension : orientale et occidentale. Tout autant roman qu'autobiographie, voici le livre le plus grave et le plus
drôle, le plus iconoclaste et le plus intime de l'auteur, qui réinvente la femme, pour nous dire que tout lui est possible.
2 EXTRAITS CHOISIS
« Sept semaines se sont écoulées depuis son accouchement. La
femme désire être une magnifique maman, d’une perfection telle qu’on ne saurait en rêver. La magnifique maman d’une perfection surpassant tout ce qu’on peut imaginer allaite à la perfection
change les couches à la perfection fait faire son rot à bébé à la perfection lui donne à la perfection trois gouttes d’eau citronnée à la petite cuiller lui fait passer le hoquet à la perfection
se lève à la perfection la nuit dès que bébé pleure se réveille à la perfection le matin nettoie les renvois de bébé à la perfection sourit à son mari affronte la vie maintient le cap à la
perfection. Or, la vérité est tout autre. » Dans la vraie vie, elle accumule les erreurs et les maladresses. Elle s’est tellement conditionnée à réussir que dès quelque chose va de travers, rien
ne va plus. Elle est accablée de honte du matin au soir, ignorant qu’avoir constamment l’excuse à la bouche peut devenir une addiction. Et à répéter « excusez-moi » à tout bout de champ, le
nombre de fautes ne fait qu’augmenter. En bref, elle est en pleine dépression postnatale.»
« Il y a six femmes miniatures dans mon Choeur de voix intérieurs. Les six que je connais.
Et ses six-là dégoisent sans arrêt. Comme un disque rayé, elles m'assomment de leurs desidérata. J'ai beau faire mine de les écouter en réalité, je leur cache à toutes quelque chose. Je crois
qu'ainsi je pourrai leur donner le change et avoir la paix.
Mais à se leurrer soi-même on ne fait que s'enfoncer davantage dans la dépression.
Je ne le sais pas encore.
Je sais seulement que la période du putsh est terminée la période de la monarchie est terminée. Et q'en moi a commencé la période de l'anarchie.»