• Ce week-end, l'évènement culturel " La nuit des musées" nous a conduit à la visite du musée de Victor Hugo à Villequier, en Seine Maritime.
    La célèbre maison, chargée de souvenirs heureux et douloureux, est le témoignage unissant les familles Vacquerie et Hugo.

    "Au 19ème siècle, la famille Vacquerie connu la prospérité grâce à Charles Isidore Vacquerie (1779-1843), armateur au Havre. Il fit de la maison de villégiature familiale la majestueuse demeure que l'on connaît aujourd'hui. Auguste (1819-1895), un de ses deux fils, est à la base du rapprochement entre les familles Vacquerie et Hugo. Homme de lettres, il fréquente à Paris les mêmes salons que Victor Hugo, pour lequel il cultive une grande admiration. Une amitié durable naît alors entre les deux hommes. Puis Charles, frère aîné d'Auguste, épouse Léopoldine, fille de Victor Hugo (1843). Plus tard, Auguste Vacquerie sera l'exécuteur testamentaire désigné par Victor Hugo pour protéger son héritage littéraire (1885). "



    A l'intérieur...



    Les chambres "rose" et "bleu" présentent l'univers du couple Léopoldine Hugo et Charles Vacquerie.



    © voyelle

     

                              

                                         "Le buste de Léopoldine Hugo" dans la chambre "rose"

    Sa mort tragique, en compagnie de son époux Charles Vacquerie, lorsque leur barque chavire sur la Seine entre Caudebec et Villequier et qu'ils se noient tous deux, le 4 septembre 1843, quelques mois seulement après leur mariage (15 février 1843), aura un grand impact sur l'œuvre et la personnalité de Victor Hugo. Il consacrera à la mémoire de sa fille de nombreux poèmes, notamment « Demain, dès l'aube... » et À Villequier dans Pauca Meae, le quatrième livre des Contemplations. Leur noyade y est relatée par des lettres et des journaux de l'époque.
    Elle est inhumée avec son époux à Villequier.( Source Wikipédia)




    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
    J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.




    © voyelle

    L'univers et la personnalité d'Adèle Foucher (1805-1868), épouse de Victor Hugo dans la chambre rouge au style que je qualifierai de "baroque" plutôt que de "rococo". Chacun son style !




    © voyelle

    Le bow-window est dédié à Juliette Drouet (1806-1883), l'amante qui partagea durant cinquante ans la vie de Victor Hugo.



    © voyelle

                                                    Les bustes d'Adèle et de Victor.




    © voyelle

    La salle de billard...et j'ajoute le célèbre quatrain  de Victor Hugo

                                                                                  « J’ai joué hier, je ne sais où,
                                                                                      À un billard d’étrange sorte :
                                                                                      Les boules restent à la porte,
                                                                                      Et la canne entre dans le trou. »


    Dans le jardin...



    © voyelle


    Vue du jardin; la Seine !

    © voyelle

    Le cimetière de Villequier : les tombes des familles Vacquérie et Hugo, sauf Victor qui comme nous le savons a été "panthéonisé"


    © voyelle

    Et je termine la visite avec quelques dessins, peintures de Victor Hugo, issus de ses carnets de voyages, qui ne sont pas exposés au Musée de Villequier. 





     






     


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  • L' Echo de la Fabrique et la petite presse ouvrière Lyonnaise
    18 août 1833 - Numéro 33

    Nous étions à la fin de 1806 ; par une belle matinée d’automne, Napoléon passait dans le Champ-de-Mars une grande revue de ses troupes chargées des lauriers de l’Egypte, de l’Allemagne et de l’Italie : il se plaisait à parcourir les rangs serrés de ces braves dont il était accoutumé à partager les fatigues et les dangers sur les champs de bataille.

    La foule garnissait les avenues et les tertres ; on se pressait pour mieux contempler les traits de l’empereur, dont la gloire et le renom remplissaient déjà le monde. L’enthousiasme qui éclatait de toutes parts était un glorieux présage des grandes destinées qu’il devait remplir. Mais alors ! ! !…

    Il avait déjà passé devant le front de plusieurs régimens, lorsqu’il arriva au 6e hussards, si remarquable par sa belle tenue. Son œil d’aigle eut bientôt aperçu un hussard volontaire qui caracolait hors des rangs ; il s’écria aussitôt :

    « Pourquoi ce hussard n’est-il pas à son poste ? Monsieur, dit-il au colonel, comment se fait-il que, dans un régiment que je me plais à citer comme modèle, je sois témoin d’une pareille infraction à la discipline ? Que cet homme soit mis pour huit jours aux arrêts.

    – Sire, reprit le colonel, permettez-moi d’en appeler à vous-même d’un jugement si sévère et de solliciter la grâce de mon volontaire ; vous ne me la refuserez pas quand vous l’aurez interrogé.

    – Eh bien ! soit, dit l’empereur ; qu’il vienne ! »

    Le hussard au galop l’eut bientôt rejoint, et il s’établit entr’eux le dialogue suivant :

    « Ton nom ?

    – Mon empereur, mon nom est Ducond-Laborde : le régiment m’appelle Breton-Double.

    – Pourquoi as-tu quitté les rangs ?

    – Je n’y suis jamais entré ; j’ai toujours suivi le régiment comme volontaire, ne voulant en faire partie que quand votre majesté m’en aura trouvé digne.

    – Depuis quand es-tu attaché au régiment ?

    – Depuis huit ans.

    – Qui t’a engagé à prendre du service ?

    – L’amour de mon pays et de mon mari dont je n’ai jamais voulu me séparer.

    – Quoi ! vous êtes une femme ?

    – Oui, sire, et vous n’aurez jamais dans le régiment de bras plus dévoué que le mien.

    – Quel est le nom de votre mari ?

    – Poncet, maréchal-des-logis chef.

    – Quel est votre pays ?

    – Angoulême.

    – Votre âge ?

    – Trente-trois ans.

    – Avez-vous des enfans ?

    – Oui, Sire, un garçon.

    – Que fait-il ?

    – Trompette au 2e dragons.

    – C’est bien. Connaissez-vous la manœuvre ?

    – Oui, sire, et le maniement du sabre aussi.

    [7.1]– Je suis curieux de le voir, dit l’empereur, qui écoutait Breton-Double avec un intérêt toujours croissant. Colonel, faites avancer un peloton, et que ce brave Breton-Double entre dans les rangs. »

    Le colonel commanda les évolutions, qui furent exécutées par Breton-Double avec une précision et une ardeur qui enchantèrent l’empereur, surpris de voir une femme manœuvrer un cheval avec une pareille vigueur et l’assurance d’un soldat de dix campagnes.

    « C’est assez, dit-il, je suis content, Breton-Double, je te fais maréchal-des-logis d’ordonnance : voila pour tes galons. » En même temps il lui met un Napoléon dans la main, donnant l’ordre qu’il lui en fût compté vingt-cinq.

    « Va rejoindre ton escadron, nous nous reverrons. »

    Breton-Double enchantée, alla prendre la place que lui assignait son nouveau grade, après avoir remercié l’empereur, au milieu des félicitations, des vivats des nombreux témoins de cette scène.

    Le 6e hussards partit pour rejoindre le corps d’armée qui entrait en Prusse, et la bataille d’Eylau fournit bientôt à Breton-Double l’occasion de se distinguer. L’affaire était déjà engagée depuis plus de deux heures ; Breton-Double, qui avait été détachée sur l’aile droite pour porter un ordre, revenait à son poste, lorsqu’elle trouva un peloton enveloppé par un gros de cavaliers russes ; ne consultant que son courage, elle s’élance le sabre à la main sur l’ennemi, tue le capitaine, dégage nos soldats, et revient au quartier-général rapportant l’écharpe de l’officier qu’elle vient de frapper.

    Instruit de cette action d’éclat, l’empereur la fit récompenser par une médaille d’or que Breton-Double conserve avec un religieux respect.

    À cette époque mémorable où nos troupes marchaient victorieuses de capitale en capitale, les braves avaient souvent l’occasion de se distinguer, et la bataille de Friedland en devint une nouvelle fort brillante pour Breton-Double.

    A peine au commencement de la journée, elle recut une balle sur la hanche, qui lui laboura la cuisse droite. Loin d’en être arrêtée, elle ne se jette dans la mêlée qu’avec plus d’ardeur, et déja plusieurs ennemis avaient payé de leur vie les douleurs qu’elle ressentait, lorsqu’une autre balle vint la frapper sous l’aisselle droite. Malgré cette nouvelle blessure, elle ne quitte point le cheval, et au lieu d’aller à l’ambulance comme on le lui dit, elle prend sa cravatte, bande sa plaie pour en étancher le sang, met son bras en écharpc et après avoir passé la bride de son cheval autour de son cou, change son sabre de côté, et le prenant de la main gauche, elle s’élance comme une hyène furieuse, se fraie un passage, et après avoir porté la mort dans les rangs, s’empare de six Prussiens qu’elle fait prisonniers et qu’elle amène à l’empereur. Napoléon reconnaissant Breton-Double, fut touché de tant de dévoûmenl et de bravoure, qu’il détacha sa croix d’honneur et la lui pinça sur la poitrine en donnant l’ordre de la conduire à l’ambulance pour y faire panser les blessures dont elle était couverte.

    Depuis lors jusqu’en 1815, Breton-Double ne quitta point son régiment, et elle rendit à l’armée de grands services, soit comme soldat courageux, soit en qualité d’ordonnance, en pénétrant dans les lignes ennemies sous les vêtemens de son sexe, tantôt comme vivandière, tantôt comme paysanne ; ses rapports fidèles ont plus d’une fois aidé le génie du grand capitaine.

    C’est à Waterloo,
    De vaillance et de deuil souvenir douloureux,
    [7.2]que Breton-Double paya son dernier tribut à la France qu’elle servait depuis dix-sept ans ; elle eut la jambe gauche fracassée par un boulet, et Poncet, son mari, devenu capitaine, plus heureux qu’elle, est mort à ses côtés, rêvant que l’Aigle était encore vainqueur.

    Amputée sur le champ de bataille, Breton-Double devint pour les ennemis qui la recueillirent un objet d’admiration et de respect. Le colonel Barown du royal Irlandais, régiment du duc de Kent, la conduisit à Dublin où elle subit une seconde amputation au-dessus du genou.

    Elle passa six ans en Angleterre, partout honorée et fêtée, et ne revint en France qu’après la mort de Louis XVIII, munie des certificats du consul de France à Dublin et de l’ambassadeur français à Londres.

    Sa longue absence après le désastre de Waterloo avait fait présumer sa mort, et cette femme, si digne de l’ordre de la Légion-d’Honneur, en avait été éliminée comme morte à Mont-Saint-Jean.

    Toutes les démarches pour obtenir sa réintégration furent infructueuses, malgré le généreux appui de l’ambassadeur anglais.

    Une victime de Waterloo ne devait pas ressusciter alors !

    Au lieu de la réintégrer sur les contrôles, on lui fit obtenir une pension de 250 fr. que Charles X lui paya sur sa cassette.

    Les généraux Foy et Lamarque, sous les ordres desquels elle avait servi, et l’ancien curé d’Auteuil, auquel elle avait été recommandée, lui adressèrent de fréquens secours ; ils ne sont plus, et la révolution de juillet, qui devait réparer tant d’infortunes, a accru celle de Breton-Double en la privant de la seule ressource qu’elle recevait de la main du roi déchu.

    Mais des droits si légitimes ne pouvaient pas être méconnus, et la veuve Poncet vient d’être informée qu’au ministère de la guerre et à la Légion-d’Honneur, on s’occupait de satisfaire à ses réclamations, en liquidant l’arriéré de sa croix, et en lui accordant une pension comme veuve de capitaine, et sa retraite comme ancien maréchal-des-logis amputé.

    Espérons que les lenteurs bureaucratiques seront stimulées par cette glorieuse misère.

    En attendant, son corps mutilé, couvert de haillons, repose sur un grabat dans la boutique du serrurier de Grenelle.

    « Si j’ai la fortune basse, j’ai le cœur haut. » Ces mots, qu’elle répète souvent, peignent le caractère de cette femme peut-être unique.

    Si vous venez quelquefois visiter le gymnase de M. Amoros, franchissez la barrière qui est voisine, et faites deux cents pas dans la rue de Grenelle, qui lui fait-face, vous verrez, à gauche, dans un champ creux, une baraque en planches mal jointes : un serrurier l’habite ; son enseigne l’indique : Ci-gît…, serrurier de Grenelle, et les poules, les pigeons, les chèvres, les chiens et les lapins, que vous verrez pêle-mêle dans l’habitation et ses dépendances, vous annonceront que l’honnête artisan (reste aussi mutilé de nos anciennes armées), se méfiant du produit de son enclume, y a joint une autre industrie : mais ce que le hasard, ou la commère du voisinage, pourra seul vous apprendre, c’est que l’un des coins de cette misérable cahute est l’asile de Breton-Double, femme qui fit pour son pays plus que maint pair de France.

    Si vous rencontrez une femme couverte de haillons, traînant péniblement, sur des béquilles, un corps abîmé de [8.1]douleurs et de blessures : c’est elle ; saluez-la : sa misère commande le respect.

    Son fils, devenu maréchal-des-logis-chef dans le 2e de dragons, et décoré de la croix-d’honneur, a suivi l’empereur à l’île d’Elbe, et depuis lors elle n’en a plus eu de nouvelles.

    Bien des souscriptions furent offertes à des infortunes moins grandes et moins glorieuses.

    (Historique.)

     


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  •  

     

    Après avoir obtenu un premier prix de comédie au conservatoire, elle entre à la Comédie Française en 1881 où elle se spécialise dans des rôles d’ingénue. En 1888, elle quitte la scène et épouse Georges Laguerre, avocat et député boulangiste. Grâce à lui, elle fréquente les milieux politiques et journalistiques de l’époque et s’initie au journalisme en publiant ses premiers articles dans La Presse, journal que dirigeait Laguerre.

    Suite à son divorce en 1891, elle entre au Figaro et crée la rubrique « Courrier ». En 1896, le journal l’envoie au Congrès féministe international qui se tient à l’hôtel des Sociétés savantes. Ce congrès va bouleverser sa vie car elle décide dorénavant de se consacrer à la défense des droits de la femme.

    L’année suivante, elle fonde La Fronde, situé 14 rue Saint-Georges ; le premier numéro paraît le 9 décembre 1897. De la direction à la rédaction en passant par la typographie, c’est un journal exclusivement élaboré par des femmes. Les articles parlent non seulement des femmes mais aussi de tout sujet lié à l’actualité : politique, littérature, sport, finance, etc. Pour couvrir certains événements, les journalistes doivent parfois d’ailleurs obtenir des autorisations spéciales ; en effet, certains lieux tels que L’Assemblée ou la Bourse de Paris sont à cette époque interdits aux femmes.

    Ce fut un quotidien jusqu’en 1903 puis il devint mensuel jusqu’en 1905. De nombreuses plumes y ont collaboré telles que Séverine, Marcelle Tinayre, Lucie Delarue-Mardrus ou Clémence Royer. (Source wipikedia)

    La Fronde, 15 décembre 1902
    Marguerite Durand

    En 1896, un Congrès féministe international dû à l’initiative privée tenait ses assises à Paris, à l’hôtel des Sociétés savantes.

    Malgré les travaux de femmes et d’hommes éminents, malgré la considérable somme de talents mis, en France, au service de la cause féministe depuis l’époque où Condorcet s’éleva de la façon que l’on sait contre ce qu’il appelait : « l’inepte préjugé de l’inégalité des sexes », le féminisme était alors, dans notre pays, taxé, par le plus grand nombre d’utopie malsaine et néfaste, ses apôtres et ses adeptes, de fous, de détraqués, au moins d’originaux.

    Aux femmes particulièrement, aux jeunes, à celles que la vie n’avait point encore trop douloureusement éprouvées, le féminisme apparaissait comme un ridicule dans  lequel une femme, soucieuse de sa bonne renommée, ne pouvait tomber sans perdre tout charme et toute grâce. Oser écrire, oser parler, oser agir sans l’abri du masque ou de l’éventail, n’était-ce pas sortir de cette réserve que les mœurs, les lois, les religions ont de temps immémoriaux, recommandée ou imposée aux femmes comme étant leur plus belle parure ?
    Aux hommes le forum, aux femmes le foyer… Ainsi pensait la majorité.
    J’étais alors de la majorité.

    L’annonce d’un congrès féministe m’eût donc, comme tant d’autres, laissée indifférente si je n’eusse lu dans un journal d’alors que les étudiants avaient résolu d’y aller faire du « chahut ».
    Ce fut avec l’espoir de m’amuser beaucoup des plaisanteries de ces messieurs et de l’émoi des bonnes dames qui en devaient être l’objet, que je me dirigeai vers l’hôtel des Sociétés Savantes.

    J’en revins dans des dispositions très différentes. Le premier moment de tumulte passé, chacun s’était vite aperçu que le bon sens n’était pas du côté des tapageurs et prenait intérêt à ce que disaient à la tribune, éloquemment ou de façon naïve, des femmes venues de toutes les parties du monde pour exposer les revendications de leurs sœurs opprimées.

    Méditer sur la justesse de ces revendications, en reconnaître le bien fondé et considérer comme un devoir social d’aider à leur triomphe par leur divulgation, voilà ce qui m’amena à concevoir l’idée d’un grand journal féministe où, quotidiennement, des femmes défendraient les intérêts des femmes.

    Dans mon écrin étaient vingt-deux perles patiemment collectées une à une pendant des années. Perles sans défaut, perles parfaites de forme et d’orient et destinées à composer un collier rare. Leur prix fut le capital de la Fronde.

    La France, à ce moment, commençait à être en proie au trouble que l’affaire Dreyfus suscita et qui, depuis, prit l’intensité que l’on sait.
    Lancer un journal nouveau et ayant une originalité alors que l’attention publique était orientée d’un tout autre côté, c’était aller à un échec.
    J’hésitais, et pour cette seule raison, je retardai de quelques mois, l’apparition de la Fronde que certains se sont plu et se plaisent encore à représenter comme ayant été créée pour servir la cause d’un juif condamné.

    À l’heure actuelle, je ne connais pas encore personnellement ce juif aperçu au Conseil de guerre de Rennes et dont les rapports avec la Fronde et sa directrice, se sont bornés à l’envoi d’une carte de remerciements quand la grâce présidentielle eut mis fin à la principale, à la plus douloureuse partie du drame qui émotionna le monde.

    À l’époque où parut la Fronde, la bataille était générale et si acharnée qu’il était matériellement impossible de ne pas se ranger dans l’un ou l’autre camp. Je conduisis la Fronde  vers celui où pour moi brillait la vérité et je l’enrôlais sous sa bannière à un moment où il y avait du courage à le faire… car les femmes plus amoureuses de formules que de logique n’étaient pas avec ceux qui défendaient alors l’innocent. ..

    La Fronde fut qualifié de journal dreyfusard et ses rédactrices insultées gravement par ceux qui se vantent encore chaque jour d’être les conservateurs des vieilles traditions françaises au premier rang desquelles figuraient pourtant l’élégance et la courtoisie. La Fronde riposta et les pierres qu’elle lança firent quelques blessures…

    Le moyen de détruire une légende n’est point encore trouvé. Toutes les légendes créées autour de la Fronde fondée pour défendre un juif, de la Fronde subventionnée par des juifs et subventionnée dans de spéciales conditions continueront donc à vivre, malgré leur invraisemblance, dans l’esprit de ceux auxquels il a plu de les accréditer.

    La 9 décembre 1897 paraissait le premier numéro du quotidien dirigé, administré, composé uniquement par des femmes. Jamais pareille tentative n’avait été faite...
    Les confrères saluèrent unanimement celle qui l’avait osée.
    Puis quelques-uns d’entre eux exprimèrent leur désillusion…

    La Fronde était un journal comme les autres journaux…pas plus amusant !! On y trouvait matière à discussion, non à plaisanterie. Vite, elle fut baptisée : « Le Temps en jupons ». Cette critique était le seul compliment qu’elle pouvait ambitionner.
    Être pris au sérieux, être compté, dès son début, parmi les journaux importants, parmi les grands journaux, c’était un succès inespéré.
    Beaucoup prétendirent que les compliments avaient été d’autant moins ménagés qu’on jugeait l’œuvre éphémère…

    Logiquement, dans un journal dirigé par une femme et composé uniquement de femmes, la Discorde, le Potin, la Jalousie devaient promptement tout détruire. « Elles se grifferont la figure avant quinze jours et s’arracheront les cheveux », prédisait-on.

    Cinq années ont passé sur ces sinistres pronostics ! Cinq années au cours desquelles plus de dix journaux d’hommes sont nés, ont vécu et sont morts ; cinq années pendant lesquelles sont venus jusqu’à nous les bruits de quantité de duels, de gifles données et rendues dans des rédactions d’hommes et les rédactrices de La Fronde, rédactrices de la première heure qui sont encore celles d’aujourd’hui, possèdent toujours leurs ongles, leurs cheveux et n’ont, sur aucun terrain, blessé personne.

    Ce n’est pas dans le fait, prétendu bien à tort extraordinaire, de faire vivre des femmes en bonne harmonie que gisait la difficulté. Les êtres raisonnables, qu’ils soient de sexe masculin ou de sexe féminin se comportent raisonnablement dans tous les cas, dans toutes les circonstances. Les femmes que je choisis étant intelligentes ne pouvaient agir comme des sottes.

    Mais si, de tout temps, les femmes écrivirent, le journalisme militant leur était étranger. Aucune, à part peut-être Séverine, n’avait avant la Fronde, exercé en France un métier qui consiste à pénétrer partout, en tout temps, à toutes heures, à se déplacer suivant les nécessités de l’information et que seuls peuvent exercer ceux qui sont libres de leur personne, de leur temps.
    Les convenances de famille ou mondaines furent les plus sérieux obstacles au recrutement des rédactrices…, obstacles qu’il fut malaisé d’aplanir.

    Puis, où chercher  un public ? dans quelles classes de la société La Fronde recruterait-elle ses lectrices ?

    Elle pouvait espérer la clientèle des femmes ouvrières dont elle servait les intérêts… Les femmes ouvrières n’ont pas le temps de lire… d’ailleurs, dans leur budget, un sou est un sou et l’on a un petit pain pour le prix d’un journal.  
    On pensa que les oisives, les heureuses de la vie enfin averties s’intéresseraient au sort  de leurs sœurs infortunées… Bien moins encore que les ouvrières, les mondaines ont le temps de lire. Personne n’est plus occupé qu’une femme qui n’a rien à faire.

    C’est dans les milieux intellectuels que La Fronde devait trouver son véritable terrain et la liste de ses abonnés étonneraient bien des gens par son éclectisme.
    Il y figure actuellement deux impératrices, des princes, des savants, des artistes, des généraux, des hommes d’Etat et des gens d’Eglise. Seul parmi ces derniers, le père Dulac n’a pas été fidèle ! Il s’est désabonné cette année « faute de ressources nécessaires pour continuer », m’a t-il écrit. Avis aux âmes charitables.
    Mais parmi les lecteurs et lectrices de la Fronde les membres de cet admirable personnel enseignant qui est la gloire de ce pays sont les plus nombreux et nombreuses et nous sont les plus chers, car si nous défendons leurs intérêts, ils sont les précieux auxiliaires de notre œuvre.

    Les idées nouvelles qu’ils inculquent aux jeunes cerveaux préparent des générations de femmes conscientes de leurs droits et de leurs devoirs qui seront mères plus clairvoyantes parce qu’instruites, et des générations d’hommes qui seront meilleurs par ce que plus justes.

    Pendant cinq ans, qu’a fait La Fronde ?

    D’abord, elle a vécu, ensuite elle a lutté, souvent elle a vaincu. Mais ses victoires qui sont celles du féminisme ne sont point à rappeler, ses lecteurs ont à toutes applaudi.

    Ce que je tiens à dire et à redire, c’est que La Fronde ne fut pas qu’un journal : elle fut une œuvre sur l’utilité de laquelle les femmes ne se sont jamais méprises, vers laquelle elles se sont, dès le début précipité en tourbillon, avec l’ardeur des papillons que la lumière attire pour y trouver conseils et protection.

    En les y recevant, quels abîmes de misères, de tristesses, d’ignorance n’ai-je pas eu à sonder ! Quels trésors d’énergie, de persévérance, de courage physique et moral n’ai-je pas eu à admirer !

    J’ai entendu gémir les mères sans pain demandant à quelle porte frapper. J’ai vu pleurer les veuves, les abandonnées, celles qui, ayant réuni sur un seul être tous leurs espoirs et toute leur affection sont, après le deuil ou la séparation, les tristes épaves que la société rejette brutalement. Beaucoup étaient, la veille encore, riches et considérées. Obligées subitement de gagner leur vie, que pouvaient-elles tenter sans métier, sans profession ? La plupart avaient eu une dot, considérable quelquefois. Le mari avait tout mangé ou perdu dans des entreprises. Elles n’étaient au courant de rien ! L’administration de la fortune conjugale, est-ce que cela regarde les femmes ? Est-ce qu’elles sont seulement voix au chapitre ? Est ce qu’elles ont seulement le droit de parler des biens qu’elles ont apportés si des parents prudents n’ont pas songé à les marier sous un régime qui sauvegarde leurs intérêts ? Quand elles se permettent une question, on leur donne… si le maître est bien disposé… des explications auxquelles elle ne comprend rien. Elles signent des papiers, des procurations, des actes sans savoir… Ou ? quand ? auraient-elles appris ?

    Qui n’a pas entendu ce que j’ai entendu ne peut se faire une idée de la crédulité, de l’ignorance de certaines femmes.  

    Des misérables en abusent…
    Il ne faut pas s’étonner que  leur nombre ne soit pas plus considérable encore car le métier est vraiment trop facile.

    Celles qui ont  des relations, des amis peuvent espérer se tirer des griffes qui les enserrent, mais les autres : les isolées, les peureuses, celles qui n’osent pas même élever la voix pour expliquer leur cas, qui sont bafouées, régulièrement condamnées en justice parce que la timidité les empêche de trouver le mot qu’il faudrait dire, l’explication qu’il faudrait donner.

    La Fronde, dans une seule année a procuré des emplois à plus de six cents femmes…

    Une œuvre, ne se réclamant pas de la philanthropie, osant publier franchement : « Ici, on ne fait pas l’aumône ; on conseille et l’on s’entraide », voilà ce que La Fronde  continuera d’être, je l’espère, entre les mains de celles qui mont aidée à la créer.  

    Cette œuvre socialement est plus utile que beaucoup de celles qui ont su recueillir pour nourrir des mendiants professionnels et faire des rentes à des paresseux les millions de « généreux donateurs ».
    Il faut souhaiter que d’autres que moi le comprennent..

    J’ai, pendant cinq années, donné à La Fronde journal, à La Fronde œuvre,  tout ce que j’ai pu lui donner ; cœur, dévouement, travail, tout mon temps et… d’autres choses encore. Mais tout effort épuise. Il ne faut pas que La Fronde œuvre, que La Fronde journal souffre de ma fatigue.

    Je quitte le gouvernail, mais c’est pour prendre rang parmi l’équipage plein de zèle, de talent et d’intelligence qui, pendant cinq années, navigue calmement sous mon commandement et qui peut maintenant commander à son tour.

    La Fronde est aujourd’hui la propriété de ses rédactrices réunies en coopération. Avec elles, elle prospérera. Elles ont à présent plus de pouvoir que moi… et n’ont pas tardé à m’en donner la preuve en me refusant le congé d’un mois que je sollicitais et que je croyais avoir gagné ! Voilà bien l’ingratitude !        
     
    (  / Archives historiques de Marie-Victoire Louis)


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